
Image de couverture John Ashbery, The Mail in Norway, 2009, Courtesy Tibor de Nagy Gallery, New York.
John Ashbery
traduit par Pierre Alferi, Olivier Brossard et Marc Chénetier.
Postface de Marc Chénetier
978-2-84809-344-4
15 x 20 cm
148 pages
25 €
juin 2020
« Tout artiste qui se respecte devrait avoir comme seul objectif de créer une œuvre dont le critique ne saurait même commencer à parler. » Les propos tenus par John Ashbery sur l’œuvre du peintre Brice Marden éclairent la sienne, si singulière, qui s’ouvre avec Some Trees, choisi en 1956 par W. H. Auden pour le Yale Series of Younger Poets Prize. À peine vingt ans plus tard, le magistral Autoportrait dans un miroir convexe, éponyme du poème inspiré par le tableau du Parmesan, mêle réflexions intimes, propositions esthétiques et regards sur le monde environnant à la lumière d’un examen des rapports difficiles entre peinture et poésie.
Les mensonges tombent du ciel tels des fils de lin
Sur l’Amérique entière, et le fait que certains soient vrais
Ne compte certes pas mais sert tout de même à justifier
Toute cette folie organisatrice sous le déferlement des plaisirs convenables.
(Grand Galop)
John Ashbery (1927-2017) est l’un des plus grands poètes américains du 20e siècle. Après la publication de plusieurs livres remarqués dans les cercles d’avant-garde (dont Le serment du Jeu de Paume en 1962 et Trois poèmes en 1972), il obtient la consécration en 1975 avec la publication d’Autoportrait dans un miroir convexe qui reçoit l’année suivante les trois plus prestigieuses distinctions littéraires américaines : le Prix Pulitzer, la National Book Award et la National Book Critics Circle Award.

De John Ashbery nous avons déjà publié
John Ashbery
Traduction de l’anglais (États-Unis),
postface et notes de Marc Chénetier
978-2-84809-245-4
15 x 20 cm
140 pages
21 €
John Ashbery & Joe Brainard
Traduction de l’anglais (États-Unis) et postface d’Olivier Brossard
978-2-84809-211-9
15 x 20 cm
140 pages
16 €
— LE MAGAZINE QUI MET L'ACCENT SUR LA CULTURE —
Choses lues : printemps 2020
Christian Rosset, 30 juin 2020
Après ces quelques mois où il s’avérait plus que problématique de s’approvisionner – en livres, côté whisky, pas de problème, le privé pouvait continuer, en chambre, ses investigations –, le temps est venu de refaire quelques virées dans les librairies afin de satisfaire notre appétit de lectures fraîches (mais n’y trouvant pas forcément ce qu’on a projeté d’acquérir – nombre de nouveautés étant souvent absentes des tables).
Heureusement, de belles surprises nous arrivent certains matins via la poste : de quoi bâtir une belle constellation, en hommage à celles que l’on pouvait observer à la nuit tombée en période dite “de confinement” – le ciel ayant alors été le plus souvent dégagé et la pollution fort réduite, ce qui, hélas, est bien fini aujourd’hui.
Tout classement, toute hiérarchie, n’ayant aucun sens, je reprends presque au hasard mes notes prises au vol tout au long de ce printemps, crayonnées sans trop réfléchir sur des post-it (les corrigeant cependant ponctuellement), sans m’attacher à la chronologie des lectures et en me moquant bien des genres dont elles relèvent, ce qui nous permettra de passer d’un livre de poésie à un recueil de dessins de presse, comme tout amateur le fait naturellement au cours de la journée.
1.
To create a work of art that the critic cannot even talk about ought to be the artist’s chief concern – 1972, John Ashbery.
“Tout artiste qui se respecte devrait avoir comme seul objectif de créer une œuvre dont le critique ne saurait même commencer à parler” (autrement dit : dont la critique s’avérerait impossible). Où se situe la frontière entre être écrivain et être artiste ? Comme il est noté sur la 4e de couverture d’Autoportrait dans un miroir convexe (Joca Seria, juin 2020), ces propos tenus par Ashbery au sujet de l’œuvre du peintre Brice Marden éclairent aussi la sienne, si singulière.
Poète associé à “l’école de New York des poètes”, à la fois fameux et mal connu (quoique publié en France depuis le milieu des années 1970 grâce notamment à Michel Couturier et Denis Roche), qui nous a quittés il y aura bientôt trois ans, “rêveur imprécis” comme le relevait Marc Chénetier dans sa postface à Vague (le précédent volume d’Ashbery publié dans la “collection américaine” dirigée par Olivier Brossard chez Joca Seria), John Ashbery demeure un des écrivains marquants de son temps, et Autoportrait dans un miroir convexe (1975), un de ses livres majeurs, a été notamment couronné par le Prix Pulitzer.
Publié une première fois en français dans une traduction d’Anne Talvaz en 2004 chez un éditeur confidentiel, il l’est de nouveau aujourd’hui, cette fois dans une traduction d’Olivier Brossard, Marc Chénetier et Pierre Alféri pour le poème-titre (il avait été le premier à en donner une version française en 1990 pour la revue Détail) qui, quand je l’avais lu pour la première fois dans Quelqu’un que vous avez déjà vu (P.O.L. 1993), traduit par Anne Talvaz, m’avait proprement sidéré. Et je dois avouer que, le redécouvrant près de trente ans après dans cette nouvelle édition, cette sidération tient plus que jamais :
“C’est le principe qui fait des œuvres d’art une chose bien distincte
De celle que projetait l’artiste. Souvent il s’aperçoit
Qu’il a omis la chose qu’il se proposait de dire
Au départ.” (trad. Alféri)
Comment parler d’un tel livre ? Soit comme le fait Marc Chénetier en postface, en s’adressant à l’auteur : “permets-moi, cher John, de tenter d’accomplir ici un pas de côté, inspiré de ceux que tu faisais toujours dans tes poèmes pour te sauver de l’incertitude et t’arracher aux doutes qui s’imposaient naturellement à ton intelligence.” ; soit en reconnaissant simplement que d’un tel livre, nous ne saurions même commercer à parler. Alors, même s’il peut paraître indispensable d’intégrer à sa bibliothèque le très “expérimental” Le serment du Jeu de Paume (Corti, 2015 – trad. O. Brossard) et Vague, publié (Joca Seria, 2015 – trad. M. Chénetier), il convient de recommander à toute personne désireuse de découvrir John Ashbery de commencer par la lecture d’Autoportrait dans un miroir convexe. Et, si l’on songe à ce que nous venons de vivre ce printemps, il est étrange d’y lire ces vers, à la toute fin du poème-titre :
“On se trouve confiné,
Tamisant le soleil d’avril à la recherche d’indices,
Dans la pure quiétude de son doux
Paramètre.”